L'incoronazione di Poppea
Opéra de Claudio Monteverdi
Mise en scène, Scénographie Jordan Vincent
Lumière Aurore Galati
Costumes Estelle Boule
Note d’intention scénographie Dom Juan revient de la guerre :
Le pouvoir fascine, il est tout aussi magnétique pour ceux qui l'exercent que pour ceux qui le subissent. Cependant, cet exercice de pouvoir n'est pas anodin ; il n’échoit pas à n’importe qui et n’est jamais dénué de conséquences. Les plus grands se souviennent-ils toujours de leur condition de simple mortel lorsqu’ils s’élèvent au sommet de la gloire et de la grandeur ?
Cette question centrale trouve une résonance particulière dans Le Couronnement de Poppée de Claudio Monteverdi, où le pouvoir et ses dérives sont exposés sous une forme qui nous rappelle l’hubris, un concept qui dépasse la philosophie grecque pour devenir une thématique théâtrale par excellence.
L’hubris, cet excès de fierté et d’ambition conduisant à l’oubli des limites humaines, nous permet de raconter l’ascension de personnages prêts à tout pour atteindre la grandeur. Le couple Néron-Poppée, au cœur de l’œuvre, incarne cette démesure : ils s’aiment et jouent à être aimés, mais dans cette quête incessante de pouvoir et de reconnaissance, ils se perdent dans leur propre jeu. Néron, détourné de son rôle impérial, devient un narcissique pathologique. Poppée, quant à elle, use de ses charmes et de sa séduction pour parvenir à ses fins, dépassant la figure de la diva déchue pour incarner la future impératrice. Ces personnages, à la fois mortels et divins, sont manipulés par des forces invisibles, notamment des allégories qui se glissent dans leurs vies comme des spectres. Ils ne sont plus maîtres de leur destin, leur ascension est marquée par l’artifice et la manipulation, les menant à une démesure tragique.
Le concept scénique de ce projet repose sur cette idée de démesure et de visibilité. Nous avons conçu un espace où, sous l’œil vigilant des dieux et des spectateurs, les personnages restent aveugles à leur propre démesure. Ils s’élèvent, non par la grandeur de leur être, mais par la force des artifices qui les entourent. Le décor se compose de trois boîtes à illusion où la frontière entre le réel et la fiction se dissout progressivement, imitant l’environnement d’un studio de tournage où la mise en scène, tant physique que mentale, est constamment en jeu.
La première boîte à illusion est la love room, une chambre conjugalement royale, où le lit devient un trône. Ce trône lumineux, éclairé de façon directive par des couleurs saturées, symbolise l’intimité, mais aussi l’absolue transparence des manœuvres et des complots qui s’y nouent. Poppée se métamorphose dans cet espace, alternant entre des figures d'ange et de déesse, s'incarnant progressivement dans son rôle d'impératrice, façonné à sa propre mesure.
La seconde boîte est le studio de tournage, un espace où la machinerie de l’illusion devient visible, exposant la construction de l’univers fantasmagorique de la love room. Les lumières, froides et chaudes, se croisent et se répondent, modifiant l’atmosphère de ce lieu en fonction des états intérieurs des personnages. À ce moment, la lumière devient un acteur à part entière, soulignant les luttes intérieures et les manipulations extérieures.
Enfin, la dernière boîte à illusion est l’opéra lui-même, ce lieu où l’artifice prime sur la nature. Les personnages chantent au lieu de parler, transformant le monde en un espace illusoire où la frontière entre le réel et l’imaginaire s’effondre.
En cela, notre démarche de mise en scène se rapproche de l’esthétique de films comme Inland Empire de David Lynch, où l’illusion, l’artifice et la mise en abîme sont utilisés pour brouiller les frontières entre réalité et fiction. Tout comme dans l’univers labyrinthique de Lynch, où le spectateur se perd dans un enchevêtrement de récits et de perceptions, nous voulons que Le Couronnement de Poppée plonge le public dans un monde où les personnages, tout comme le spectateur, sont enfermés dans un cycle d’illusion et de manipulation, jusqu'à ce qu'il soit impossible de distinguer l’artifice du réel.